Le paysage (Episode 1)
Le paysage (1)
La peinture d’histoire magnifie un événement, le portrait met en valeur un personnage. Que célèbre un paysage ? Comment délimiter, selon quel but, en fonction de quels principes, la portion de la réalité qui sera représentée ?
Décorer
L’Egypte antique utilise la nature comme élément décoratif. On remarquera les couleurs restées très vives. Et la mise en scène selon les critères égyptiens qui tendent à faire que les objets soient bien reconnaissables, sans se soucier de la profondeur ou de la réalité. Ainsi le bassin est vu depuis une position élevée pour qu’on voie l’eau et les poissons ( de profil). Les arbres l’encadrent, ce qui est parfaitement clair malgré la position, bizarre pour nous, de certains d’entre eux.
La Grèce utilise abondamment des détails naturels tels que les palmes et les feuilles notamment comme décor des chapiteaux des colonnes.
Célébrer la création divine
Pour le christianisme, la nature, création parfaite, ne peut être présente dans l’œuvre d’art que par le
matériau le plus précieux : la feuille d’or qui constitue le fond de la représentation et met en valeur les saints personnages.
Un simple arrière-plan qui prend de l’importance
Peu à peu, la nature va commencer à exister dans l’imaginaire des peintres et va se constituer en paysages divers. Qu’on en juge par ce tableau de 1306 du Florentin Giotto di Bondone qui est à l’origine de l’art occidental ( à comparer avec l'art byzantin aux personnages hiératiques).
Le tableau oppose la masse de tons clairs des personnages éplorés, présentés dans des positions diverses à une zone bleutée peuplée d'anges. Un rocher sépare les deux ensembles par une diagonale. Ni terre, ni végétaux, un simple arbre dénudé : la nature est présente mais encore bien discrète
Le paysage demande des personnages, même anecdotiques ou peu visibles : Seule la représentation humaine permettra aux grands paysagistes de pouvoir accéder à l'élite du genre pictural.
Le personnage de Saint Jérôme, qui tire une épine du pied d'un lion sous la protection de la Croix, est perdu dans un paysage aux tons froids fermé à gauche par des rochers nus comme ceux de Giotto trois siècles plus tôt mais ouvert sur un large panorama verdoyant où déambulent des individus minuscules.
Des habitations, une ville même près de la rivière contredisent le titre donné parfois à ce tableau : Saint-Jérôme au désert.
Un paysage immense, naturel ou citadin
La nature sauvage des pays du Nord et du centre de l’Europe impressionne les peintres de ces contrées qui peignent des espaces immenses où l’homme apparaît sous forme de figurine fragile.
Le point de vue élevé montre bien qu'Altdorfer ne s'intéresse pas aux visages ni aux sentiments. Les deux camps sont difficilement reconnaissables. On sent la fureur des combattants et la volonté d'Alexandre -signalé à la verticale de la cordelette du cartouche qui indique le nombre de morts perses-. Il poursuit Darius la lance prête à l'halalli qui s'échappera grâce aux trois chevaux qui tirent son char.
Mais l'essentiel pictural est ailleurs, dans cette nature, imperturbable comme la falaise qui domine les combattants ou comme le lac aux eaux glacées, dans ce ciel où des nuages massifs d'un bleu intense s'affrontent comme les deux armées tandis que le soleil encore ardent donne une lumière qui va s'éteindre pour cent mille combattants perses.
(A propos de la bataille d'Issus ( ou Issos), voir l'article Peinture d'histoire)
Une nature à la mesure de l’homme
Des chemins ordonnés, des champs cultivés paraissent peu à peu. L’espace domestiqué, naturel ou urbanisé témoigne de l’emprise sur la nature, qui illustre aussi le pouvoir d'un suzerain.
L'enluminure (20x30 cm environ) des frères Limbourg magnifie le Louvre sous un ciel bleu royal. Nature et personnage semblent s'ordonner autour de la verticale qui passe par la tour centrale. Les paysans aux vêtements bien éclatants pour leur condition célèbrent la richesse du souverain tout comme le fera une nature domestiquée au temps des moissons.
L'art du paysage ne s'impose qu'au début du 16e siècle lorsque des artistes accordent au paysage la place principale dans leurs compositions.
La Tempête de Giorgione (1510) a fait couler des fleuves d'encre, à défaut d'éclairicir la signification du
tableau. Le Monde vient d'y consacrer un article.
Le regard du spectateur part de deux personnages contrastés : à gauche, un homme debout, habillé ( soldat ou berger?) muni d'un long bâton. Il regarde avec attention une jeune femme nue qui allaite son enfant à droite. Elle tourne son visage vers le spectateur qui, d'abord arrêté par ce premier plan, est entraîné dans la profondeur du tableau qui s'ouvre après le plan des deux groupes d'arbres. La ligne d'horizon assez basse partage l'espace entre le décor urbain, clair et le ciel sombre troué d'un éclair. Les tons plutôt froids de l'arrière-plan s'échauffent au contact du couple, pourait-on dire pour ajouter un commentaire sans intérêt à tous ceux déjà publiés. On peut s'amuser à découvrir ici ou là des allusions érotiques... que le plus imaginatif gagne
Mais le mystère reste bien présent !
Toujours est-il que le titre consacre la nature comme un élément majeur d'un genre en train de naître.
Le Vénitien Giorgione dessine peu ou ne suit pas son dessin primitif : le pinceau est son guide. Il rendra Venise célèbre pour ses peintres coloristes: Titien, Véronèse, Tintoret.
A venir: Le Paysage (Episode 2 )
La nature entre par la fenêtre, s'empare de la lumière et le paysage éclate...